Interview avec Nasteho Aden, en course pour les élections Sénatoriales 2023

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Politique

Entrée, en juillet dernier, dans la course des élections Sénatoriales qui se tiendront ce dimanche 24 septembre 2023, Nasteho Aden, conseillère municipale et territoriale à Stains (93), s’illustre avec ferveur dans une campagne intitulée « Sénat pour tous » où la parole de chaque citoyen est mise à l’honneur.
Dans une interview, elle a accepté de nous livrer sa vision de la politique, son engagement, son programme et son appel. Lisez !

[A&P] Bonjour Mme Aden, pourriez-vous pour nos lecteurs vous présenter en quelques mots et nous raconter comment vous vous êtes lancée dans l’aventure politique ?

Je m’appelle Nasteho Aden, j’ai 34 ans et suis maman de 2 enfants. J’ai évolué dans les métiers de la cyber-sécurité où je suis RSSI (Responsable Sécurité des Systèmes d’Information). En fait, la politique a toujours fait parti de mon schéma de pensée, d’action, de militantisme, mais pendant très longtemps je n’avais pas appelé ça de la politique, mais plutôt « être engagé dans son quotidien ».
En réalité la politique est partout, le seul fait de dénoncer quelque chose c’est de la politique, mais dans sa codification en tant qu’Élue de la République c'est arrivé en 2020 par mes actions, mon militantisme, mon engagement dans mon éco-quartier sur les questions du logement et des habitats neufs en Seine-Saint-Denis (93). En 2020, je deviens Conseillère Municipale de ma ville. Et très vite, j'ai compris que mon cheminement personnel, individuel et intellectuel s’appelait en réalité « politique ». Tout de suite j'ai commencé à comprendre que notre quotidien que je dénonce par ailleurs, est décidé dans certaines scènes et par certaines personnes et souvent les mêmes personnes. J’ai donc commencé à décortiquer un peu ce paysage politique, en comprenant d'abord qui était à l'origine de ces décisions que je dénonçais, pour arriver au constat que toutes ces décisions viennent d'instances dont on a pas conscience, auxquelles on ne s'intéresse pas ou peut-être parce que l'information ne nous parvient pas. Il fallait donc démystifier un peu tout ça et se rendre compte qu'on est tous engagés dans notre quotidien. Et cet engagement fait partie de la sphère politique, du militantisme politique et permet de connaître les enjeux de la réalité, de la vie du quotidien, etc.
Le 2ème constat était de voir que c'était les mêmes personnes aux mêmes endroits qui prenaient ces décisions. Tout de suite en 2021, j'étais candidate aux Régionales dans le 93 et j'ai été confrontée à ce que j'appelle aujourd’hui la tambouille politique. On se bagarre pour des sièges etc. Et finalement l'intérêt commun se perd pour l'intérêt d'un organe politique.
J'ai toujours eu comme boussole l'intérêt commun et surtout en devenant Maman l'intérêt de mes enfants. Dans quel écosystème j'allais les élever ? Et donc se questionner entre ce qu'on mange à la cantine et ce qui se dessine sur la France-Afrique par exemple. Je suis aussi engagée sur ses volets. Mettre en place un prisme de réflexion, car on est citoyen de cette République, à un moment où la république atteint son paroxysme de racisme, de la discrimination où les questions migratoires frôlent les questions identitaires. Moi je suis née et j'ai grandi à Djibouti et je suis arrivée en France à mes 18 ans. J'ai été bercée aussi dans cet univers du continent, d'un pays qui a été le dernier pays indépendant de l'Afrique avant d’arriver dans un département comme le 93, de m’y installer, m’y marier et élever mes enfants dans une ville populaire. Et se rendre compte qu'il y a un moment où il faut dire stop, parce qu'on en a la capacité et la résignation ne doit pas être notre choix.
Je suis arrivée au constat qu'il était important de parler des Sénatoriales. Cette scène au privilège d'hommes blancs de plus de 50 ans qui sont à l'aboutissement de leur carrière politique sur un siège bien douillet et de rappeler que la France est plurielle. Elle est aussi constituée d'une jeunesse. Moi j'ai 34 ans aujourd'hui et cette jeunesse a aussi sa formation académique, est aussi stigmatisée de partout et a décidé aussi d'élever ses enfants là. Il faut rappeler aux organes politique que leur boussole doit devenir une boussole citoyenne.

[A&P] Qu’espérez-vous réellement de la Politique ?

J’espère d'abord prouver qu'elle est faite pour tout le monde parce qu’aujourd'hui à 80 % d'abstention dans nos villes, si les gens ont déserté les urnes, c'est qu'ils pensent que ce n'est pas pour eux et je veux juste rappeler que chacun de nous, on peut se l’approprier. Non seulement, nous sommes les sujets de l'expérimentation politique, mais nous sommes à même d'en parler. Parce que le plus souvent si je prends la question de l'antiracisme, ceux qui débattent ne savent même pas de quoi ils parlent la moitié du temps, si l'on prend la question migratoire, idem. Ou encore la situation dans les villes populaires, ils n’y habitent même pas en majorité. Donc la politique est accessible à tout le monde. Si aujourd'hui elle a été confisquée, c'est que quelque part nous avons accepté cette confiscation et si je peux le faire alors tout le monde peut le faire, d'abord parce que la politique n'est pas mon métier, moi je viens de l'informatique et quand je suis en train de montrer que la politique est pour tout le monde, je montre que je ne sors pas de Sciences Po.

[A&P] Envisagez-vous de rallier un parti ? Si non, pour quelles raisons ?

Absolument pas, je ne suis pas anti-parti, il ne faut pas se mentir ni être dans l’utopie, ils ont une assise, mais je suis dans ce débat philosophique de se dire, « est-ce l'homme qui est défaillant ou l'organe politique ? » Et donc forcément je ne montre aucune opposition, mais on doit faire en sorte que les organes qui ont oublié qu'il y avait aussi des citoyens dans la matrice s’en rappellent et composent avec nous. Par contre je ne rallierai aucun parti, car je me refuse à une quelconque appropriation de ma parole. Je souhaite garder ma parole libre.

[A&P] Vous avez décidé de briguer le Sénat avec une liste 100% citoyenne. Qui sont les personnes sur votre liste ? Et quelles seraient leurs missions à vos côtés ?

Alors déjà sur la séquence qui se joue aujourd'hui c'est de mener cette campagne avec l’ambition que l’on porte tous ensemble. Mais pour la suite, le but est aussi de démocratiser la politique parce qu'il y a une part de cette démocratie qui s'est oubliée, la place du citoyen s'est oubliée et toutes les personnes sur ma liste sont des acteurs de la société civile. Ils sont présidents d’associations, élus de la société civile, engagés auprès de la jeunesse, de la culture, du sport, du handicap et il est question de rappeler que c'est Monsieur et Madame tout le monde qui aujourd'hui font de la politique et encore plus dans un département comme le nôtre qui a de forts enjeux et une forte abstention. Ce n'est plus possible de se dire que nous sommes en Seine-Saint-Denis, qu’il y a besoin que l'on s'engage pour ce département, mais c'est le même département qui relève 80 % d’abstention. Donc le plus gros du combat qu'on va mener juste après cette séquence, c'est l'engagement politique.

[A&P] Vous comptez sensibiliser la population, c’est bien cela ?

Alors, on le fait déjà mais là c'est vraiment la question de dire à tous que « vous avez votre place en politique, ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous dénoncez, ce pourquoi vous vous engagez, ça s'appelle la politique. »

[A&P] Vous parlez beaucoup de l’immigration, d’ailleurs nous avons vu votre forte implication concernant la situation des migrants en Tunisie ou encore à Lampedusa. Pensez-vous qu’aujourd’hui, la France soit encore une terre d’accueil ?

Alors une chose est importante, il faut remettre la France dans le prisme Européen parce qu’aujourd'hui la question de l'immigration se traite sur le volet Européen, surtout à l'aube des élections Européennes qui vont se jouer l'année prochaine. C'est vraiment important de remettre tout cela dans ce prisme électoral. Je ne veux pas dire électoraliste parce que ce sujet est tellement à ré-humaniser que ça me révolte qu’on puisse le mettre sur des questions électoralistes. Donc quand on remet la France sur la question européenne, c'est de se dire si aujourd'hui l’Europe peut, ou est ou doit devenir une terre d’accueil. A savoir que quand on parle du prisme européen, on remet en perspective tout ce qui se passe dans le monde c'est-à-dire les crises écologiques, humanitaires, les situations de guerre ici et là ; pour se dire « quelle est la responsabilité de chacun dans tout ce qui se passe dans le monde ». Une responsabilité écologique ; comment aujourd'hui l'Europe dans sa globalité consomme à travers le monde ? Est-ce qu'il y a un respect et un juste échange équitable par exemple avec le continent Africain ? Est-ce que l’Europe-Afrique doit être débattu aujourd'hui ? On ne peut plus être dans une question de « je consomme, mais par contre je ne traite pas les problèmes locaux » et quand je dis je ne traite pas les problèmes locaux, il faut sortir une diplomatie de l'injonction.
Aujourd’hui on doit être sur une diplomatie de coopération, on doit avoir des partenariats et cela remet aussi en perspective la question de la France-Afrique, est-ce qu’aujourd’hui la France est-elle en train de perdre sa boussole diplomatique en Afrique ? Il y a tout ça qui se remet en perspective.
Ensuite, est-ce qu'on a la capacité d’accueil ? J'ai envie de dire oui parce qu’aujourd'hui la démographie en Europe et l'Europe dans sa globalité est une population vieillissante, donc forcément la question migratoire est une question démographique intéressante pour le continent européen. Le débat donc est à prendre sur tellement de perspectives sur la question économique, humanitaire et éthique. Est-ce qu'on continue de laisser la Méditerranée être un bain de sang ou décide-t-on de ré-humaniser nos frontières ?

[A&P] Dans tout cela, pensez-vous que la France a oublié une partie de son histoire ?

Alors je ne pense pas qu'elle ait oublié, je pense que c'est une volonté d'instaurer une espèce d'amnésie coloniale. Si aujourd'hui les présidents africains ont pour conseillers des personnes qui arrivent directement de l’Élysée, c'est que la France connaît son implication et sa place donc je pense bien qu'il y a une volonté d'instaurer une amnésie coloniale et dire que l'Afrique doit rester un continent où les états ont leur souveraineté propre.
Oui mais c'est faux de dire ça quand on vient mettre son injonction quotidienne, il faut faire ci et faire ça, on a infantilisé pendant trop longtemps le continent même après la décolonisation. Donc sommes-nous à une étape de l'histoire où la France doit reconnaître officiellement la souveraineté des états africains et donc de travailler avec l'Afrique comme elle travaille avec l’Allemagne, l'Angleterre ou l’Espagne ? Et reconnaître la légitimité historique culturelle, cultuelle et étatique des états d’Afrique. C’est un très long débat. J'ai moi-même beaucoup à apprendre, mais je fais partie de cette jeunesse qui regarde la France et qui regarde aussi son pays d'origine, et il est temps aussi d'accepter et d'être fier de sa double nationalité, et encore plus quand on est élu de la République.

[A&P] Tout à fait ! Et c’est assez intéressant de montrer que la République est aussi ouverte aux immigrés

Alors, moi ce qui me gêne aujourd'hui c'est que pendant très longtemps on a centré le débat sur l’intégration, l’assimilation. Par contre la France n'a aucun problème lorsqu'il s'agit du passeport Talent, ou de relever des métiers en tension, là, la main-d'œuvre est utile. Est-ce qu'on arrive à un débat où finalement l'étranger devient un jeton utilisable qui va servir dans les restaurants pendant un an, et quand le restaurant fait faillite, on le met dehors. Je pense plus que jamais que les élus issus de la diaspora doivent incarner aussi à la fois les valeurs de la république, les défendre, mais surtout rappeler leur implication.

[A&P] Outre l’immigration, vous parlez de divers sujets tels que l’éducation, la lutte contre les discriminations, les associations de quartier, le racisme, l’accès à la santé, le logement, entre autres.
Quel est, selon vous, l’état actuel de la France concernant tous ces sujets ?

Ça dépend de quelle partie du territoire. Est-ce qu'on parle de la ruralité ? Ou parle-t-on de nos départements, en Île-de-France, etc. Chaque sujet a son enjeu et mérite notre attention et notre investissement. Si on prend par exemple la question de l'éducation, on a les zones prioritaires d'éducation, mais en fait elles n'ont de prioritaire que le nom. Est-ce à requalifier ? Ou par exemple la question de la discrimination à l'entrée des collèges et des lycées qui doit être mise aussi en perspective face à une république qui va à la dérive. Face à cela, il est question d'inviter chacun à vraiment s'engager dans les thématiques du quotidien, parce que tout le monde est aujourd’hui en roue libre.

[A&P] Vous venez de souligner la disparité entre les classes encore aujourd'hui en France

Oui, forcément parce que l'accès à la culture, à l’information, a créé aussi cette disparité sur notre territoire. Par exemple, avec le projet « Sénat pour tous », on se bat pour que l'Internet devienne un service public et que dans nos villes il y ait un accès au numérique qui soit garanti et garantir l'accès au numérique, c'est garantir l'accès à l'information. Globalement, c'est déjà d'accéder au même niveau d'information et aux mêmes outils pour décortiquer l’information. Bien consommer Internet c'est aussi une forme d'éducation à l'accès au numérique. J’ai le sentiment que ce fossé existe parce qu'il y a une désertion des services publics sur le territoire et ce fossé est entretenu par le gouvernement.

[A&P] Oui, dans quel but ?

Oui, ça…

[A&P] Donc ce sont les grandes lignes de votre programme ?

Oui complètement. Mais si je devais vraiment retenir une grande ligne c'est la place du citoyen dans le paysage politique Français, dans tous ses volets, accès au numérique, le handicap, la jeunesse, la santé, la culture, etc.

[A&P] C’est de donner une voix à ceux qui n’en ont pas ?

Quelque part j'ai envie de dire qu'on a aujourd'hui une voix mais c'est de donner une écoute parce qu’on n’est ni entendu ni considéré. Les révoltes sont là, on a marché de nombreux samedis, on a eu les gilets jaunes, etc. Mais sommes-nous entendus ? Je ne me donnerai absolument pas la prétention d'être porte-voix de tous les citoyens parce qu’il n’y a pas de couleur politique du citoyen. Toutefois il est temps d'entendre ce qui se passe en France.

[A&P] Alors quelles actions comptez-vous mettre en place pour y parvenir ?

La première chose est de se battre pour que le Sénat ne soit plus au suffrage universel indirect. Aujourd'hui, quand je questionne autour de moi, personne n'est au courant que le Sénat est en train de se jouer. La première chose est donc de parler du rôle du Sénat, du sénateur. Après vous me direz peut-être qu'il y aura autant d'abstention pour les autres échéances, mais au moins on en parle. Ensuite, derrière j'ai mon programme et vais dérouler tous les autres sujets, mais la première chose, c'est de rendre aux citoyens leur arme, le vote.

[A&P] Que diriez-vous aux élus pour les inciter à voter pour vous ?

Je leur dirai quelque chose de très simple ; lorsque vous avez été élu aux municipales, au suffrage universel direct, vous aviez défendu des valeurs qui étaient citoyennes et là je m'adresse véritablement à tous ceux qui ont été élus sous une bannière de gauche où l’on défendait en inscrivant partout le nom du parti + ‘est citoyen’. Beaucoup de groupes politiques ont dit ça en 2020. Mais est-ce que cela a encore un sens aujourd’hui ? Où la parole est accaparée par des personnes qui se disent défendre les couleurs de gauche ; je suis une femme profondément de gauche forcément je serai critique par rapport à ceux qui sont censés défendre ce que je représente. Je leur dirai comment nous pouvons avoir une incohérence aujourd'hui face à Fabien Roussel (Secrétaire national du PS, Ndlr) qui parle d'une classe ouvrière qui parle Français, face à un PS qui aujourd'hui vote sur la question des droits séparatistes, etc. Comment peut-on s'identifier et être à ce rendez-vous de l'histoire face à des incohérences comme celles-ci ? N’est-ce pas le moment de rappeler aux organes politiques de revenir à leur boussole initiale qui était de défendre l'intérêt général ?

[A&P] Pensez-vous que votre message va être écouté du peuple ? Un peuple aujourd’hui en majorité déçu des politiques, des promesses non tenues, des lois plus polémiques les unes que les autres. Un peuple qui se sent oublié. Pensez-vous que cela va changer ?

Alors, j'ai envie de croire que oui, parce que je n'ai pas accepté la résignation et je ne l'accepterai pas. Mon message, je ne sais pas s'il va être entendu. Je n'ai pas la prétention de vous dire que je suis une personne d'influence sur la place publique, pas du tout, mais ce qui est certain c'est que je n'accepterai pas la résignation. Je le répéterai autant de fois qu'on aura besoin de l’entendre, autant de fois qu'on me posera la question, autant de fois qu'il me sera possible d'évoquer ce sujet. Je le ferai parce que j'ai décidé de ne pas accepter la résignation et de ne pas la léguer à mes enfants. Donc oui je sais que je ne serai peut-être pas entendue grandement et je sais qu'aujourd'hui il y a une rupture de confiance entre le politique, la politique et le citoyen mais pour autant je ne me tairai point.

[A&P] Un dernier mot pour la fin ?

Oui, un mot qui me tient vraiment à cœur : Ne pas faire de la résignation le choix Citoyen
Quelle que soit l'issue de ces élections, je reste sur une note très positive car rendre les choses possibles ou du moins faire comprendre que les choses peuvent être possibles, ça prend du temps, c'est une épreuve d'humilité et je mènerai cette course autant de fois qu'il le faudra. Je voudrais aussi transmettre à mes enfants cette position et leur dire que vous n'êtes pas obligés de tout accepter.

[Conclusion]

Le ton est donné. Nasteho Aden fait partie de ces citoyens qui ont décidé de se lever et se battre pour leurs droits. Cela nous rappelle que l’on ne peut se désintéresser des actions politiques. Car d’elles dépend bien évidement notre bien-être. C’est d’ailleurs pourquoi l’apôtre Paul nous exhorte avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. [1 Timothée 2 v.1] Alors ne cessons de prier pour ces autorités pour le bien de notre génération et celles à venir.

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